L'oxymore ancien de « dictature démocratique » employé par Joseph Barthélémy pour qualifier les républiques d'Amérique latine du début du XXe siècle ou le terme récent de « démocrature » imaginé par Pierre Grémion et Pierre Hassner pour désigner le processus à l'œuvre dans les Etats de l'Europe de l'Est et du Centre au lendemain de l'effondrement du communisme interrogent les notions de « démocratie » et de « dictature ». Ces deux formes jugées pures sont habituellement situées aux antipodes de la classification juridique des régimes politiques. L'une désigne un régime où le pouvoir vient du peuple et où la souveraineté collective s'exprime par le droit de vote des citoyens et le principe de majorité. L'autre, au contraire, se définit selon Maurice Duverger comme « un régime hors la légitimité représentative » et se caractérise par la réunion de trois traits antinomiques avec le procédé électif, à savoir la concentration des pouvoirs, l'irrégularité de sa dévolution et l'anormalité de son exercice.
Pourtant, des régimes tant américains qu'européens ont connu des élections et référendums, sans pour autant que soit remise en cause l'étiquette de « dictature » qui leur a été accolée. Qu'il s'agisse des régimes espagnol et portugais nés durant « l'ère des dictatures » auxquels la seconde guerre mondiale n'a pas mis un terme, des régimes roumain, brésilien et chilien coïncidant à la période de la guerre-froide, ou encore des régimes actuels bélarus, chilien et vénézuélien ayant survécu à la consécration du modèle démocratique annoncée par Francis Fukuyama, des consultations électorales se sont déroulées quelle que soit l'époque où ils se sont établis.
De ce constat naît une série de questions que l'on peut centrer sur les trois phases cycliques inhérentes à tout régime politique : Ces dictatures sont-elles nées de l'organisation de consultations électorales ? Des consultations électorales ont-elles été organisées durant l'exercice de ces régimes dictatoriaux ? La cause de leur chute réside- t-elle ou résidera-t-elle dans l'organisation de consultations électorales ? L'étude de ces cas emblématiques de dictatures occidentales sous l'angle du procédé électoral poursuit la double ambition de contribuer à la conceptualisation de la catégorie des régimes dictatoriaux souvent abandonnée au profit de celle des régimes autoritaires et, par un effet de miroir, de s'interroger de nouveau sur les contours de la notion de démocratie.