L'usage du renvoi préjudiciel par les cours constitutionnelles

Le 27 septembre 2024
Les modalités d'inscription seront communiquées ultérieurement

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Présentation

Les cours constitutionnelles européennes ont longtemps refusé le dialogue direct avec la Cour de justice de l’Union européenne via le renvoi préjudiciel. Leurs relations se limitaient alors à une « juxtaposition de deux monologues »1 ou, dans le meilleur des cas, à un dialogue informel. Les cours constitutionnelles demeuraient donc en dehors du mécanisme préjudiciel, lequel permet à la Cour de justice de s’assurer de l’application effective et uniforme du droit de l’Union et qui, parallèlement, connaissait un succès grandissant devant les juges ordinaires. Cette situation trouvait en partie son explication dans les rapports délicats qu’entretiennent encore aujourd’hui le droit constitutionnel des États membres et le droit de l’Union, tous deux en situation de prétendre à la primauté normative.

Le constat, quantitatif, est désormais différent. L’on remarque, depuis une quinzaine d’années, une acclimatation progressive mais croissante des cours constitutionnelles au mécanisme préjudiciel. La Cour constitutionnelle belge a été la première à saisir la Cour de justice. Les juridictions constitutionnelles autrichienne, espagnole, italienne, allemande, roumaine, lituanienne, luxembourgeoise ou encore polonaise lui ont tour à tour emboité le pas. Même les cours les plus réticentes ont consenti à jouer le jeu, à l’image du Conseil constitutionnel français, dont l’année 2023 marque les 10 ans de son premier – et dernier – renvoi préjudiciel2. Certains renvois ont été médiatisés, à tout le moins dans le milieu juridique, en raison des enjeux soulevés par la question de droit et/ou de la posture adoptée par le juge constitutionnel.

Si une volonté de coopérer est effectivement de plus en plus perceptible, cette coopération, lorsqu’elle se manifeste à travers le renvoi préjudiciel, reste ambiguë, notamment s’agissant du rôle des cours constitutionnelles dans l’architecture juridictionnelle européenne et dans l’application du droit de l’Union, et procède souvent3 d’une démarche défensive, voire menaçante.

L’enjeu est en effet de taille et teinté d’ambivalence. D’un côté, le renvoi préjudiciel constitue une opportunité de prendre plus directement part à l’élaboration d’un droit de l’Union pluraliste, de faire entendre sa voix afin d’influencer les interprétations délivrées par la Cour de justice, voire de signifier son désaccord. Cela est d’autant plus vrai dans un contexte marqué par une remise en cause, au sein de certains États européens, des valeurs de l’État de droit et des droits fondamentaux. L’unité et la coopération affichées peuvent avoir leur importance, même si elles relèvent de l’ordre du symbole. Sur le plan interne, le dialogue préjudiciel peut constituer un moyen de renforcer la légitimité institutionnelle d’une juridiction ou de ses décisions.

D’un autre côté, se conformer aux règles du renvoi préjudiciel peut être perçu comme une forme de soumission au droit de l’Union et à son juge. Se manifeste alors un réflexe de protection d’une forme de souveraineté nationale par l’autonomie du droit constitutionnel et de son juge, ce qui semble aujourd’hui exacerbé par la revendication de certaines spécificités nationales et par la remise en cause du principe de primauté.

Le moment nous semble donc particulièrement opportun pour apporter un nouvel éclairage sur l’usage du renvoi préjudiciel par les cours constitutionnelles. Cette journée d’études a ainsi pour ambition de porter un regard croisé sur les pratiques des cours constitutionnelles européennes en matière de renvoi préjudiciel. Après avoir dressé un panorama général – temporel, géographique, matériel, contentieux – de l’usage du renvoi préjudiciel par les différentes cours, la première partie de cette journée portera sur les obstacles au renvoi préjudiciel. Il s’agira de comprendre pourquoi la majorité des cours constitutionnelles ne s’est pas saisie de l’outil préjudiciel, et pourquoi les renvois demeurent rares parmi celles qui acceptent d’y avoir recours4.

Trois principaux obstacles semblent pouvoir être identifiés. D’abord, les normes de référence des juridictions constitutionnelles. Au-delà de l’évidence – certaines cours constitutionnelles ne saisissent pas la Cour de justice car elles ne sont tout simplement pas chargées d’appliquer le droit de l’Union –, l’obstacle tiré des normes de référence varie sensiblement d’un État à l’autre et n’emporte pas les mêmes conséquences. Par exemple, en Autriche, la Charte des droits fondamentaux a acquis une valeur constitutionnelle et se voit donc appliquée par le juge constitutionnel. En Belgique, la théorie de l’ensemble indissociable conduit à interpréter les droits constitutionnels à la lumière du droit de l’Union, tandis qu’en France le droit de l’Union n’intègre les normes de référence du juge constitutionnel que dans le champ limité du contrôle des lois de transposition des directives ou tirant les conséquences de règlements européens. Par ailleurs, certains renvois peuvent uniquement viser l’application du droit interne, lorsque le juge cherche à établir sa compétence, lorsqu’il s’octroie la possibilité de vérifier que l’Union n’a pas outrepassé la sienne ou que, dans son exercice, elle n’a pas porté atteinte à l’identité constitutionnelle nationale.

Le deuxième obstacle est sans doute le plus emblématique car souvent avancé par les juridictions constitutionnelles qui refusent d’intégrer le renvoi préjudiciel à leur office : les spécificités procédurales. Le cadre procédural dans lequel s’inscrit le contrôle de constitutionnalité des lois ne serait pas adapté à la mise en œuvre du renvoi préjudiciel. Une étude comparée de la mobilisation de cet argument nous permettra d’en apprécier les forces et les faiblesses. Alors que certaines cours font de ces considérations techniques un obstacle indépassable, d’autres les ont aménagé afin de privilégier le dialogue préjudiciel. Cet argument se double par ailleurs régulièrement d’une valorisation des juges ordinaires en tant que juges naturels du droit de l’Union et donc du renvoi préjudiciel.

Enfin, le dernier obstacle abordé sera celui, moins ouvertement avoué, de la préservation de la souveraineté juridictionnelle. Nous partons ici de l’hypothèse que nombre de cours constitutionnelles évitent de s’engager dans la voie préjudicielle pour éviter de se placer dans une position de subordination dans le dialogue engagé. Or, cette posture peut largement être questionnée, voire remise en cause, à l’aune de la pratique du dialogue « rugueux » notamment observé récemment entre la Cour de justice et les cours constitutionnelles allemande et italienne.

Cette première partie sera l’occasion de mettre en lumière la pratique de la Cour constitutionnelle belge qui, dans un contexte contentieux relativement classique5 pose régulièrement des questions préjudicielles à la Cour de justice. L’occasion sera également saisie d’explorer la pratique, encore peu étudiée, des États de l’Europe de l’Est, laquelle semble différée au moins s’agissant de l’argument de la souveraineté juridictionnelle.

La deuxième partie s’intéressera quant à elle aux fonctions du renvoi préjudiciel, lorsque celui-ci est utilisé par le juge constitutionnel. Plusieurs raisons le poussent en effet à saisir la Cour de justice. Ces fonctions peuvent donc être multiples, et s’entremêler selon les cas, mais elles peuvent également être perçues différemment selon le point de vue adopté : fonctions constructives, défensives, mais aussi fonctions de légitimation institutionnelle. Aussi, du point de vue des juges constitutionnels, lequel sera livré sous forme d’une table ronde dans laquelle interviendront des membres des juridictions constitutionnelles et d’autres praticiens6, s’ajouteront le regard universitaire, qui permettra de donner un cadre plus théorique, ainsi que celui de la Cour de justice sur l’usage du renvoi préjudiciel par les cours constitutionnelles.

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    1. D. Ritleng, « Cours constitutionnelles nationales et renvoi préjudiciel », in Mélanges en l’honneur du Professeur Joël Molinier, LGDJ, 2012, p. 589.
    2. Cons. const., 4 avril 2013, n° 2013-314P QPC, M. Jeremy F. ayant donné lieu à CJUE, 30 mai 2013, F., aff. C-168/13 PPU
    3. Mais pas toujours
    4. À l'exception de la notable Cour constitutionnelle belge
    5. Contrôle de constitutionnalité a priori ou a posteriori de la loi ; absence de contrôle de conventionnalité de la loi ; absence de reconnaissance du principe de primauté par la Constitution ou par le juge.
    6. Les Cours constitutionnelles belge, italienne, autrichienne, allemande et française ont été retenues en raison du nombre de renvois opérés et/ou du contexte particulier – juridique, institutionnel, etc. – entourant ces renvois.

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Programme

9h. Ouverture

  • Mathilde Heitzmann-Patin,
    Professeur à l’Université du Mans, Secrétaire-général de l’AFDC

9h20. Propos introductifs : De la nécessité de la participation des juges constitutionnels au dialogue préjudiciel

  • L. Coutron,
    Professeur à l’Université de Montpellier et référendaire à la CJUE

9h45. Panorama de l’usage du renvoi préjudiciel par les cours constitutionnelles

  • L. Navel,
    Maître de conférences à l’Université Paris Cité

10h10. Pause

10h30. Partie I : Les obstacles au renvoi préjudiciel

  • Sous la présidence de D. Dero-Bugny,
    Professeur à l’Université Paris Cité

10h35. Les normes de référence des juridictions constitutionnelles

  • B. Bonnet,
    Professeur à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne

11h00. Les spécificités procédurales

  • Th. Larrouturou,
    Maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

11h25. La préservation de la souveraineté juridictionnelle

  • A. Vidal-Naquet,
    Professeur à l’Université d’Aix-Marseille

11h50. Débats et pause déjeuner

14h00. Partie II : Les fonctions du renvoi préjudiciel

  • Sous la présidence de X. Philippe,
    Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

14h05. Un regard doctrinal

  • O. Dubos,
    Professeur à l’Université de Bordeaux

14h30. Le point de vue des juges constitutionnels (table ronde)

  • Allemagne : J. Masing,
    ancien juge à la Cour constitutionnelle fédérale allemande
  • Autriche : V. Madner,
    Vice-présidente de la Cour constitutionnelle autrichienne
  • Belgique : P. Nihoul,
    Président de la Cour constitutionnelle belge
  • Italie : N. Zanon,
    ancien juge de la Cour constitutionnelle italienne

15h45. Débats et pause

16h10. Un regard de la Cour de justice de l’Union européenne

  • J.-C. Bonichot,
    juge français à la CJUE

16h35. Propos conclusifs

  • D. Rousseau,
    Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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Cette journée d’études est organisée avec le soutien du Centre Maurice Hauriou – CMH (EA 1515) de l’Université Paris Cité et de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne – ISJPS (UMR 8103) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous le parrainage de l’Association française de droit constitutionnel (AFDC). Les actes de cette journée donneront lieu à publication.